Un Moussa et de nombreux Boybacar-s ?

Pourquoi tant d’anciens mineurs sont-ils obligés de quitter la France, alors même qu’ils suivent des formations professionnelles dont le marché du travail a désespérément besoin ?

Moussa peut être qualifié de vraiment chanceux ; Il a obtenu un contrat « Jeune majeur » après avoir atteint l’âge adulte. Beaucoup d’autres anciens Mineurs Non Accompagnés (MNA) poursuivent même des cours de Centre de Formation des Apprentis (CFA) dans des professions pour lesquelles le marché du travail est à court. Et ils ont même trouvé des employeurs prêts à leur proposer un contrat à durée indéterminée (CDI), qui est également le type le plus convoité sur le marché du travail. Mais même cela, n’a pas aidé des dizaines d’entre qui reçoivent le rejet de leur demande de séjour en France, par les préfectures, accompagné d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). Elle oblige la personne à quitter la France dans les 30 jours suivants et a une durée d’un an. En Meurthe-et-Moselle, en janvier 2021, RESF 54 a pu constater 70 jeunes dans de telles conditions.

“La question centrale pour ces jeunes reste la non-délivrance de papiers qui conduit à les empêcher de poursuivre leur apprentissage ou de travailler même avec la garantie formelle d’un contrat de travail une fois qu’ils ont atteint les 18 ans », – explique Johan Chanal du RESF 54. « Quant à la protection du Conseil Départemental, même si elle perdure parfois quelques semaines ou quelques mois pour certains jeunes (au maximum jusqu’à 21 ans), elle cesse parfois le jour même de leur majorité, et alors beaucoup de jeunes sont mis à la rue, avec un sac en plastique empli de quelques vêtements pour tout bagage ».

En 2019, près de 17 000 enfants, principalement originaires de la Guinée, du Mali et de la Côte d’Ivoire, ont été déclarés MNA en France, selon une mission d’information de la commission des Lois, publie en mars 2021 à l’Assemble Nationale.

Boybacar

C’est exactement ce que Boybacar, l’un des membres du collectif ACTION LES JEUNES 54 ! craint le plus. Il est arrivé en France il y a 3 ans, après avoir traversé des dizaines de péripéties.

« Mon oncle et moi avons quitté l’Afrique, et au début nous sommes allés en Italie. Mais j’ai eu beaucoup de difficultés avec la langue italienne. Nous avons donc décidé de venir en France. Je voulais aller à l’école et exercer un métier pour améliorer ma vie. Je veux juste travailler parce qu’il n’y a pas de travail dans mon pays. Et, par-dessus tout, nous sommes très pauvres.”

 En France, après des mois passés dans un centre en attente de la décision du juge de savoir s’il était mineur ou non, Boybacar a finalement été officiellement reconnu comme tel et autorisé à s’inscrire à l’école. Il poursuit actuellement un CFA en maçonnerie, une profession en grande pénurie en France. Mais cette année, il a eu 18 ans et a reçu le rejet de sa demande de séjour en France. C’est pourquoi il est devenu membre du collectif ACTION LES JEUNES 54 ! « Je viens ici pour être avec d’autres jeunes, pour changer mes idées et l’ambiance. Ma situation est très difficile, tout comme les autres et nous essayons de nous motiver. En parallèle, je viens me faire conseiller, enrichir et valoriser mon dossier de régularisation en France, faciliter les démarches administratives. C’est plus facile quand on se réunit, on a des idées et de l’énergie. Nous voulons travailler et contribuer à l’économie française. Mais pour ce faire, nous devons être régulariser.”

 ACTION LES JEUNES 54 ! lors d’une des animations place Stanislas, Nancy, Meurthe-et-Moselle, mars 2021. Crédit photo Pro IDE

Sur la photo en-dessus: Photo de Daan Stevens sur Unsplash

Une histoire et des milliers d’autres

En 2019, près de 17 000 enfants, principalement originaires de la Guinée, du Mali et de la Côte d’Ivoire, ont été déclarés MNA en France, selon une mission d’information de la commission des Lois, publie en mars 2021 à l’Assemble Nationale par deux rapporteurs de La République en Marche et Les Républicains.

« L’accueil de ces mineurs sur le territoire français est un devoir humanitaire. Il doit être organisé par les pouvoirs publics dans le respect des droits fondamentaux de l’enfant, garantis par la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France, et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, notion que le Conseil constitutionnel a récemment déduite des 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 » c’est écrit dans le rapport de cette mission d’information.

Malgré d’avoir même trouvé des employeurs prêts à leur proposer un contrat à durée indéterminée (CDI), RESF 54 a pu constater 70 jeunes qui ont reçu le rejet de leur demande de séjour en France, par la préfecture, en Meurthe-et-Moselle, janvier 2021.

 Mais en pratique, les choses sont plus compliquées. Lorsqu’un étranger vient en France et déclare être MNA, avant d’être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et de bénéficier de ses droits, le Juge des Enfants doit déclarer que l’étranger est vraiment mineur. C’est une procédure qui dure souvent des mois, comme en témoignent Moussa et Boybacar, une période pendant laquelle aucune scolarisation n’est proposé ; et pendant laquelle on peut facilement sombrer dans la victimisation et délinquance.

L’argument de la durée est que beaucoup de ceux qui se disent mineurs sont en fait des adultes. Ils mentent donc. Un argument largement cité dans plusieurs déclarations publiques et pour lequel le rapport susmentionné de l’Assemblée Nationale, dédié au MNA délinquants, fait fréquemment référence. Si fréquent que l’UNICEF France a réagi immédiatement avec un communiqué de presse publié le 10 mars 2021, intitulé « Un rapport parlementaire sur les mineurs non accompagnés qui inquiète ».

« Tout en reconnaissant l’absence de statistiques solides, les rapporteurs agglomèrent des faits peu objectivés sur la part de prétendus « faux mineurs ». Forts de ce constat, ils proposent de généraliser des mécanismes de contrôle tels que le fichier biométrique, la contrainte au relevé d’empreintes, la coopération policière avec les pays de provenance, l’évaluation de la minorité lors des garde-à-vue…, sans interroger leur impact sur l’effectivité des droits de l’enfant – pourtant relevée par de nombreuses organisations auditionnées… UNICEF France rappelle que les mineurs non accompagnés (MNA) sont des enfants en danger, au titre de l’article 375 du code civil. Ils doivent être protégés et ce, dès leur repérage et jusqu’à ce qu’intervienne une décision définitive”.  

Medicins du Monde : La plupart des Mineurs Non Accompagnés  n’ont pas rencontré de médecin depuis leur arrivée en France et 95% n’ont aucune couverture maladie. Pourtant, ils/elles présentent tou·te·s un état de santé dégradé».

Un fond effrayant

Hypothèses. Déclarations générales. Des propositions plus strictes. Même sans ce qui a été publiquement lancé en mars 2021, la situation était et est déjà difficile. Pas seulement en ce qui concerne la scolarité, l’accompagnement, la possibilité de sombrer dans l’inactivité et éventuellement la criminalité. Mais aussi en santé. Contrairement à ce que l’on pense généralement, l’accès des MNA aux soins de santé est extrêmement faible en France, selon Medicins du Monde. « La plupart d’entre eux n’ont pas rencontré de médecin depuis leur arrivée en France et 95% n’ont aucune couverture maladie. Pourtant, ils/elles présentent tou·te·s un état de santé dégradé. », a déclaré l’association, dans une tribune publiée le 8 octobre 2020 pour dénoncer l’état grave de ces mineurs.

Conflits constants, injustices sociales, inégalités prononcées entre le développement des pays, concentration des richesses dans une partie seulement d’entre eux, chômage, violence, catastrophes naturelles, sont les causes qui augmentent chaque année le nombre d’immigrants dans le monde. Parmi eux, des millions sont des enfants. En 2019, les enfants migrants représentaient 12% de la population migrante totale (UNICEF, 2020).

Oxfam France : Aujourd’hui, plus de 68,5 millions personnes dans le monde ont dû quitter leur foyer pour fuir la guerre, la famine ou les conséquences du changement climatique. La moitié d’entre elles sont des enfants .

Oxfam France, 2021, déclare que les enfants ont un pourcentage beaucoup plus élevé parmi les migrants forcés de partir pour des raisons urgentes telles que la faim, la guerre ou le changement climatique. “Aujourd’hui, plus de 68,5 millions personnes dans le monde ont dû quitter leur foyer pour fuir la guerre, la famine ou les conséquences du changement climatique. La moitié d’entre elles sont des enfants. Ce nombre est le plus élevé enregistré par les Nations Unies depuis la Seconde Guerre Mondiale ». Presque 35 millions…

Parmi ces millions de mineurs qui ont quitté et quittent chaque jour leur pays, ceux qui voyagent seuls, sans famille, sont, sans doute, la partie la plus triste de cet exil. Et, parmi eux, ceux qui retournent là où ils ont commencé, avec seulement un petit sac à main, après des années d’efforts sincères pour toucher un rêve, sont la partie qui va au-delà de la tristesse…  (à suivre)

Cet article est produit dans le cadre du projet « Migration, jeunesse et internet». Il a  été rédigé par Elda Spaho Bleta, bénévole au sein du groupe local Oxfam de Nancy, qui a porté la plus grande attention aux informations données. Les sources des informations sont citées, et lorsqu’un avis personnel est donné, il n’engage que la rédactrice. Si malgré son attention, une erreur s’était glissée dans le document, n’hésitez pas à le lui signaler en écrivant à [email protected]. Cet article est publié avec l’appui des fonds de l’Agence française du Développement et du Grand Est Solidarités et Coopérations pour le Développement et avec le soutien d’Oxfam France. Le contenu des articles n’engage pas les structures précédemment nommées.

3 réflexions sur “Un Moussa et de nombreux Boybacar-s ?”

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