Les immigrants : Combien premiers titres de séjour la France délivre-t-elle ?

Quelles sont réellement les motifs de délivrance pour ces titres ? Sur les traces du mythe de la « France qui accueille tout le monde » et des figures du ministère français de l’Intérieur. Comment les fausses vérités sur les immigrés sont-elles créées dans l’opinion publique ?

   “Un mensonge répété 10 fois reste un mensonge. Répété 10 000 fois, il devient la vérité”. C’était l’un des axiomes et dictons préférés d’Hitler et de Goebbels. Les deux génies noirs de la propagande ne connaissaient que trop bien cette vérité de la nature humaine. Et ils n’ont pas hésité à l’utiliser.

Car oui : un mensonge peut se transformer en vérité. C’est scientifiquement prouvé. « Au fil du temps, une exposition répétée à la désinformation peut créer un effet de vérité illusoire. Ce phénomène est lié à la mémoire, car les informations familières sont plus facilement rappelées et apparaissent ainsi plus fiables ». (De Keersmaecker et al. (2020). Hasher et al. (1977).

Chiffres, mythes et création de fausses vérités

Le 17 juillet 2018, Roberto Savio, journaliste, président émérite et fondateur d’IPS Inter Press Service, révélait à Rome les résultats d’une enquête menée auprès de 23 000 citoyens en France, en Allemagne, en Italie, en Suède, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Selon elle, une grande désinformation en a résulté : les Italiens pensaient que les immigrés représentaient 30% de la population alors que ce chiffre n’était que de 10% ! Les Suédois pensaient que les immigrés occupaient 30% de la population, alors que ce chiffre est de 20% ! « Les Italiens pensent aussi que 50 % des immigrés sont musulmans, alors que ce chiffre est de 30 %. En revanche, 60% des immigrés sont chrétiens et les Italiens pensent qu’ils ne sont que 30%”, a ajouté Savio.

Il y a quelques semaines, alors que l’accueil du navire OCEAN Viking divisait la classe politique en France, les mythes négatifs allaient encore plus loin. “39% des Français considèrent les immigrés comme une “menace” pour le pays”, ressort l’enquête menée par l’institut CSA et publiée au CNEWS le 17 novembre 2022.

Myth/ Tout le monde vient en France et la France accueille tout le monde !

La vérité :
•       Selon le ministère de l’Intérieur français, la France a attribué 270 925 premiers titres de séjours (provisoires) en 2021**
•       Mais sur ce nombre, 173 538 sont des visas d’étudiants et des titres de séjours « Familial (famille de français, membre de famille, liens personnels
et familiaux) ».
•       74 036 titres de séjours Humanitaires », « Economiques » et « Divers » inclus.
•       Seulement 39 660 pour des raisons humanitaires (réfugié et apatride, asile et protection subsidiaire, victime de la traite des êtres humains, étranger malade, victime de violences conjugales).

Les fausses vérités négatives sur les migrants sont si fortes qu’en 2020, alors même que leur nombre global diminuait significativement de 2 millions et que les demandes d’asile en première instance étaient de 1,1 million (45 % de moins par rapport à 2019), en raison des restrictions à la mobilité liées à COVID-19, “… contre ce contexte, la pandémie de COVID-19 a intensifié la désinformation sur les migrants, qui ont été diversement attaqués pour avoir introduit le virus ou provoqué une augmentation des cas”. *, selon l’OIM (Organisation mondiale pour les migrations).

Les mensonges répétés créent de fausses vérités. Lorsque ces derniers se nourrissent de la peur et du manque d’empathie pour ceux qui en ont besoin, des mythes négatifs se créent très facilement.

Voici l’un des plus populaires :

Tout le monde vient en France et la France accueille tout le monde !

C’est l’un des mythes les plus acceptés et les plus répétés en France. Couramment utilisé publiquement et politiquement, notamment par l’extrême droite, sans s’appuyer sur des données officielles, il est confirmé année après année par les sondages publiés dans les médias. Résultat : de plus en plus de Français pensent qu’il y a plus d’étrangers dans leur pays qu’il ne devrait l’être et que le gouvernement n’a pas de politique dissuasive. « Le débat public sur l’immigration en France est en décalage complet par rapport aux réalités de base », – a déclaré François Héran dans une tribune publiée le 8 novembre 2022 dans Le Monde qui commentait : Professeur au Collège de France à la chaire Migrations et sociétés, rappelle, chiffres à l’appui, à quel point l’immigration est limitée, bien en deçà de la place qu’elle occupe dans l’espace public ».

Mais voyons plus précisément comment les immigrés sont accueillis en France, c’est-à-dire combien de premiers titres de séjour1 leur sont délivrés :

Selon le ministère de l’Intérieur, la France a délivré 270 925 premiers titres de séjour (temporaires) en 2021**. Vu sur bloc, sans l’analyser, le chiffre parait assez gros. Si l’on rentre une à une les catégories de délivrance, la situation change.

D’abord, parce que la majorité absolue de ces titres, selon le ministère français de l’Intérieur, sont des visas étudiants (le groupe le plus important avec 87 694 titres) et “Vie familiale – famille française, membre de la famille, lien personnels et familiaux – deuxième groupe le plus important avec 85 844 titres). L’ensemble de ces deux groupes donne un chiffre de 173 538 (visa étudiant et titre de séjour « vie familiale »). Ainsi, en chiffres, par le ministère de l’Intérieur lui-même, 64 % des titres de séjour pour étrangers sont accordé aux étudiants qui viennent étudier en France (prouvé comme un avantage pour le pays) et à ceux qui épousent des Français ou ont des liens familiaux avec eux.

Toutes les autres catégories, c’est-à-dire “Humanitaire”, “Economique” et “Divers” complètent le chiffre de 97 387 titres de séjour.

Parmi elles, la catégorie dont on parle le plus, celle “Humanitaire”, qui regroupe l’ensemble des titres pour les réfugiés, les apatrides, les victimes de l’apartheid, les demandeurs d’asile, les étrangers malades, les victimes de la traite des êtres humains et les victimes de violences conjugales, entraîne moins de 40 mille titres de séjour en France ! Plus précisément, 39 660. Nous parlons de l’un des pays les plus riches et les plus développés du monde, ce chiffre doit donc être bien placé dans cette perspective. Actuellement, selon le dernier rapport de l’OIM (Organisation mondiale pour les migrations), il y a un nombre record de personnes déplacées de leur pays de naissance en raison de guerres, de conflits sanglants et de catastrophes naturelles.

Il vaut la peine de s’arrêter un peu à la catégorie “Economique” pour mieux comprendre à quel point la France est frugale même dans la délivrance de titres aux étrangers qui veulent travailler dans ce pays. Ce titre est accordé aux scientifiques, aux artistes, aux salariés, aux saisonniers et aux indépendants. Pour l’ensemble de ceux-ci, la France n’a accordé, temporairement l’an dernier, que 36 095 permis.

La dernière catégorie, “Divers”, regroupe tous les visas accordés aux visiteurs en France, mineurs étrangers, anciens combattants ayant combattu pour la France, etc. Pour eux, l’an dernier, l’Etat a délivré 21.632 titres de séjour, selon le même ministre.

Et, si vous pensez que les années précédentes, les chiffres étaient plus élevés, il suffit de regarder le tableau ci-dessus, qui fait partie du document officiel du ministère français de l’Intérieur. Là, il semble clair que l’année 2021 a été, jusqu’à présent, la plus généreuse…

Référencés :

1 Les premiers titres sont ceux qui sont délivrés aux étrangers après leur première demande de séjour en France. Ainsi, officiellement, leur renouvellement ne compte pas comme un nouveau titre, même si le motif de délivrance a changé.

* https://publications.iom.int/books/etat-de-la-migration-dans-le-monde-2022-chapitre-8-desinformation-sur-la-migration-un

**https://static.data.gouv.fr/resources/les-titres-de-sejour-publication-du-20-juin-2022/20221018-121745/la-delivrance-des-premiers-titres-

Cet article est produit dans le cadre du projet « Migration, jeunesse et internet – 2″, avec l’appui des fonds de l’Agence française du Développement (AFD), de Gescod (Grand Est Solidarités et Coopérations pour le Développement), et avec le soutien de l’association AMI-PLUS.
Les sources des informations sont citées, et lorsqu’un avis personnel est donné, il n’engage que l’auteur.
Le contenu des articles n’engage pas les structures précédemment nommées”.

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