« C’est comme ça qu’on devient exilée à cause de la violence »

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L’auteur de l’article
Dora Pozsgai
Photo credit Athénaïs LACHAT Sur la photo ci-dessus: Dorina racontant son experience Photo credit Anastasia Papadopoulos
Dorina a passé 8 ans à essayer d’élever ses enfants, sans son mari, en vivant chez ses beaux-parents. Elle a travaillé 12 heures par jour, tout en faisant le ménage et en s’occupant de son beau-père malade. Tout cela au risque de subir des violences psychologiques, économiques et physiques. Une histoire humaine.
Par Dora Poszgai, étudiante à Science Po, Nancy. 

Rédactrice Elda Spaho Bleta

 “Beaucoup de gens se demandent, – dit-Dorina*, –  pourquoi j’ai quitté mon pays, pourquoi je suis venue ici, en France”. Mais son histoire est complexe, et, la première étape pour la comprendre est de réaliser que les migrants ne quittent pas un pays de leur plein gré. Ils et elles fuient quelque chose : la guerre, la politique, la pauvreté, bien sûr, mais aussi des problèmes personnels. Ils et elles ont une raison de partir, une raison de quitter leur famille, de quitter leur domicile.

Un mariage plein de violence

Il y a quatre ans, Dorina, mère de deux enfants, a fui la peur et le harcèlement en Albanie pour se rendre en France afin d’élever correctement ses enfants. La société patriarcale des Balkans, bien que lancée sur la voie de la modernisation, est encore fortement fondée sur des traditions et des coutumes qui déterminent la structure sociale et familiale hiérarchique dans laquelle les femmes restent subordonnées aux hommes. Dorina s’est mariée en 2000 et a donné naissance à deux enfants en 2002 et 2007. Avec ses enfants et son mari, elle a vécu dans la maison des parents âgés de son mari pour s’occuper d’eux, où elle était dominée et maltraitée non seulement par son mari, mais aussi par les parents de celui-ci.

« Une fois, je n’ai pas fermé la fenêtre et mon beau-père m’a frappé avec ses béquilles », raconte-t-elle. « Sa violence contre moi était toujours justifiée, parce qu’il était âgé et malade. Je ne pouvais rien faire. »

-Et votre mari ? Vous a-t-il aussi frappée ?

– Oui. Toujours. Il me frappait pour tout. Alors j’ai arrêté de parler, parce que je ne voulais pas de conflits. Je ne voulais plus de problèmes.

Selon l’enquête nationale de population 2018 sur « La violence à l’égard des femmes et des filles en Albanie » [1], menée par l’Institut des statistiques (INSTAT), l’agence statistique de l’Albanie, plus de la moitié des femmes et des filles albanaises âgées de 15 à 74 ans ont subi violence au cours de leur vie, en outre, 47% d’entre elles ont subi des violences domestiques du partenaire intime.

En 2006, le corps législatif albanais a ratifié la loi « Sur les mesures contre la violence dans les relations familiales » [2] afin de réduire la violence domestique contre les femmes. La loi définit clairement la violence domestique comme « tout acte de violence (…) une violation de l’intégrité physique, morale, psychologique, sexuelle, sociale et économique) commis entre des personnes qui sont ou ont été dans une relation familiale » 2. En outre, suite à des amendements en 2012 et 2013, le Code pénal de la République d’Albanie [3] a été modifié pour inclure dans les infractions de violence domestique punies d’une peine d’emprisonnement.

Dans la réalité, cependant, la situation diffère encore sensiblement de la théorie, car les femmes qui subissent des violences domestiques ne les signalent généralement pas aux institutions juridiques compétentes. La principale cause de la sous-déclaration de la violence domestique réside dans les normes sociales. Selon l’enquête précitée de l’INSTAT1, 46,5 % des femmes âgées de 18 à 74 ans ont déclaré que tous ou la plupart des membres de leur communauté « pensent qu’une femme doit tolérer une certaine violence pour maintenir la cohésion de sa famille ».

 « Je ne suis pas allée à la police, parce que c’est la norme en Albanie, c’est presque toujours comme ça. De toute façon, ma belle-mère ne me l’aurait pas permis. », dit Dorina.

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Dorina racontant son experience
Photo credit Anastasia Papadopoulos

8 ans d’abandon et, puis, la France

Après des confrontations avec ses partenaires commerciaux et des difficultés avec les autorités, son mari a quitté la famille en 2010, sans rien laisser derrière lui.  Dorina a passé 8 ans à essayer d’élever ses enfants, sans lui, en vivant chez ses beaux-parents. Elle a travaillé 12 heures par jour, tout en faisant le ménage et en s’occupant de son beau-père malade. Tout cela au risque de subir des violences psychologiques, économiques et physiques. Elle a essayé de survivre dans un foyer où elle était exploitée et maltraitée pendant 8 ans entiers.

Mais, un jour, elle a décidé que c’était trop. Elle pouvait plus mener cette vie et elle savait qu’il n’y avait personne qui pouvait l’aider.  “J’ai décidé de quitter mon pays pour chercher de meilleures conditions pour mes enfants. Et pour moi aussi”.

Elle est venue en France, ayant en tête une image accueillante de ce pays. Espérant un nouveau départ, une nouvelle vie, calme et sûre.

« Je ne pouvais plus rester en Albanie. Je ne pouvais plus faire ça », elle explique. « Je ne suis pas venue pour profiter de la France. Je ne veux pas de charité. Je suis venue pour travailler, pour éduquer mes enfants. »

Cependant, son arrivée n’a pas répondu à ses attentes. Au lieu d’un accueil, d’opportunités de travail, d’acceptation et de possibilités, elle ne connaît que des années d’attente impuissante et une situation financière difficile, en raison de l’impossibilité de travailler, faute de régularisation. 

« Quand nous sommes arrivés, nous avons dû dormir dans la caserne. Pendant deux mois. Puis à nouveau pendant six mois. Nous n’avions chacun qu’une longue chaise et une couverture. Il y avait environ 30 personnes dans la pièce », – Dorina se rappelle, avec de déception et de douleur dans sa voix, les souffrances de ses premiers mois en France.

Après avoir passé des mois dans une caserne, la famille a obtenu une chambre dispo si le dans un lieu d’hébergement pour les demandeurs d’asile.

Dorina a demandé à l’OFPRA l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides , avec l’aide d’une assistance juridique et d’un interprète, la protection. « Toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », dit l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[1].  Le statut de réfugié et/ou de protection subsidiaire est reconnu par l’OFPRA sur la base de la Convention de Genève de 1951[2].  Dans la pratique, cependant, la plupart des immigrants albanais ne peuvent pas obtenir l’asile car l’Albanie est considérée comme un pays sûr.[3] Toutefois, les immigrants albanais continueront d’avoir la possibilité de demander la protection subsidiaire, qui est accordée aux personnes qui ont des raisons sérieuses et avérées de croire qu’elles courent un risque réel d’être soumises à l’un des actes graves[4].

Dorina a demandé la protection subsidiaire, demande rejetée en 2019, au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour établir qu’elle avait fait l’objet de harcèlement et de menaces, ce qui ne justifiait pas le besoin de protection subsidiaire. La seule option qui lui reste est la régularisation pour d’autres raisons, qui lui permettrait d’obtenir un titre de séjour. La circulaire Valls du 28 novembre 2012[5] donne des indications sur la procédure de régularisation. Pour Dorina, il y a deux possibilités : la régularisation sur la base de la vie familiale, qui exige 5 ans de résidence en France et au moins 3 ans de scolarisation pour au moins un enfant ; ou la régularisation sur la base du travail, qui exige 3-5 ans de résidence en France, un contrat de travail ou une promesse d’embauche et certains bulletins de salaire exigés par la circulaire.Cependant, La Circulaire Valls n’est pas contraignante, de sorte que même si les conditions énoncées dans la circulaire sont remplies, la régularisation n’est pas garantie.

Contrairement à l’opinion négative sur les immigrants, Dorina a envie de travailler. Dans son pays d’origine, elle était couturière et travaillait pour des franchises de marques connues telles que Lacoste, Max Mara, etc., et elle a envie de poursuivre sa profession en France. La recherche d’un emploi occupe une place importante dans ses activités quotidiennes, mais elle n’a toujours rien trouvé. La seule option sans papiers est de travailler au noir, mais le risque de sanctions contre les employeurs rend la recherche d’emploi difficile.

« C’est comme un cercle vicieux. Je veux travailler, mais ils ne me laissent pas. Parce que j’ai besoin de papiers. Mais je ne peux pas avoir les papiers car je n’ai pas de contrat de travail. »

La famille de trois personnes, sans revenu, reçoit l’aide d’associations, des bourses, et un soutien financier de sa famille albanaise si nécessaire. Dorina passe sa vie quotidienne avec ses enfants, en s’occupant du ménage et au Secours Catholique, où elle participe à des cours de français, se socialise et essaie de s’intégrer. Cependant, la situation difficile et le fait qu’elle ne puisse pas offrir à ses enfants la vie qu’ils méritent lui causent du stress et de la tristesse.

« Je ne sais pas comment continuer. Mais je dois repousser mes propres sentiments, je dois me concentrer pleinement sur mes enfants car ils sont les plus importants. », elle explique avec douleur mais aussi avec une force inébranlable sur son visage.

La femme de 44 ans, qui a beaucoup souffert dans son pays d’origine, laissée seule, sans papiers depuis déjà 4 ans, malgré ses difficultés, n’abandonne pas. Chaque jour, elle se bat pour tout donner à ses enfants, en souriant. Elle fait tout pour avancer.

– Regrettez-vous parfois d’être venu en France ?

– Regretter ? Non, jamais ! Elle répond sans réfléchir. – La vie ici est très difficile, mais aussi plus calme. Je peux faire grandir mes enfants comme je veux, je n’ai pas peur tout le temps, donc j’apprécie la France.

*Le nom a été changé pour protéger l’identité de la personne.


Références :

[1] INSAT, Violence against women and girls in Albania, 2018, p. 12-16 http://www.instat.gov.al/media/6123/publication-violence-against-women.pdf

2 loi n° 9669 du 18 décembre 2006  « Sur les mesures contre la violence dans les relations familiales » https://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_isn=75471&p_lang=

3 Code pénal de la République d’Albanie, Article 130, 2015 https://www.warnathgroup.com/wp-content/uploads/2017/11/Albania_CC_1995_am2015_en.pdf

4 Article 14 du Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948  https://www.ohchr.org/sites/default/files/UDHR/Documents/UDHR_Translations/frn.pdf

5 Article 1 de la Convention de Genève de 1951https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62

6 L’OFPRA, Liste de pays d’origine surs, date de mise en jour : 01/09/2021 https://www.ofpra.gouv.fr/fr/textes-documents/liste-des-pays-d-origine-surs

7 Définis par l’article L. 512-1 du Ceseda, entré en vigueur le 1er mai 2021 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042776169

8 Ministere de l’Intérieur, Circulaire INTK1229185C du 28 novembre 2012 http://www.justice.gouv.fr/publication/mna/circ_conditions_demandes_admission_sejour_2012.pdf

Cet article est produit dans le cadre du projet « Venir ensemble, se raconter, se mobiliser », un partenariat entre la plateforme d’information PRO IDE et le Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine, avec le soutien financier de ce dernier.
Il a été rédigé par Dora Pozsgai, étudiante de Science Po-Nancy,  bénévole (2022) au sein de Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine et édité par Elda Spaho Bleta, journaliste, fondatrice de PRO IDE. Les sources des informations sont citées, et lorsqu’un avis personnel est donné, il n’engage que l’auteur.
Le contenu des articles n’engage pas les structures précédemment nommées.

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