Kaltrina est arrivée en France en tant que mineure Photo credit Anastasia PAPADOPOULOS

Kaltrina : Enfant et étranger, quel critère prévaut ?

À son arrivée en France, elle remplit plusieurs conditions favorisant l’obtention du statut de Mineur Non Accompagné (MNA) : c’est une fille, mineure, seule, et malade. Elle souffre du syndrome du Blapharophimosis-Ptosis-Epicathus inversus (BPES), une affection génétique rare, qui déforme ses yeux.  Malgré cela, Kaltrina a dû se battre pendant 4 ans pour obtenir ses papiers.
Par Oriel Wagner, étudiante a Science Po, Nancy. 

Rédactrice Elda Spaho Bleta
L’auteur de l’article, Oriel Wagner Photo credit Anastasia PAPADOPOULOS, Sur la photo ci-dessus: Kaltrina est arrivée en France en tant que mineure Photo credit Anastasia PAPADOPOULOS

« Moi, je suis quelqu’une de vraiment décidée. Si je veux quelque chose, je l’obtiens. » Les yeux de Kaltrina*, comme toujours ornés d’un trait d’eyeliner aiguisé, brillent de détermination. Et pourtant, l’obtention du droit de séjour a été tout sauf facile pour elle. La veille du renouvellement de son titre de séjour, la jeune albanaise de 21 ans me raconte son histoire pour la première fois.

L’accueil inconditionnel des MNA en France, un mythe ?

Kaltrina arrive en France le 11 février 2017, à l’âge de 16 ans. Elle est accompagnée seulement par son grand frère, qui lui est majeur et repart peu après en Allemagne. Kaltrina est donc une mineure non accompagnée. En tant qu’albanaise, elle peut circuler librement au sein de l’espace Schengen et a pu entrer en France sans visa. À présent, l’enjeu est celui d’avoir le droit d’y rester.

Un jeune est qualifié de “mineur non accompagné” (MNA) lorsqu’il a moins de 18 ans et n’est pas accompagné par un représentant légal. Comme le stipulent la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’Homme, tout jeune se disant mineur et isolé doit être protégé et pris en charge suivant les dispositions légales de la protection de l’enfance. Ainsi, aux yeux de la loi, les mineurs non accompagnés sont enfants avant d’être étrangers.

Pour reprendre les termes du Sénat, le phénomène des mineurs non accompagnés a crû ces dernières années “de manière spectaculaire”. Selon les chiffres de l’Assemblée des départements de France, sur l’ensemble de l’année 2020, 40 000 personnes se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA. En effet, ce statut apporte de nombreuses opportunités (scolarisation, formations professionnelles) à ceux à qui il est accordé, et pourrait être un premier pas vers la régularisation.

L’histoire de Kaltrina, cependant, en témoigne autrement. À son arrivée en France, elle remplit plusieurs conditions favorisant l’obtention du statut de MNA : c’est une fille, mineure, seule, et malade. Elle souffre du syndrome le Blapharophimosis-Ptosis-Epicathus inversus (BPES), une affection génétique rare, qui déforme ses yeux.  Malgré cela, elle a dû se battre pendant 4 ans pour obtenir ses papiers.

Refus après refus, les tourments de l’attente

Maltraitée physiquement et psychologiquement par sa belle-mère depuis ses 11 ans, Kaltrina souffre pendant de longues années en Albanie, jusqu’à faire une tentative de suicide. Suite à celle-ci, son grand frère décide de lui faire quitter le pays pour l’éloigner le plus possible de sa famille. Comme la plupart des migrants, Kaltrina vient en France en espérant y trouver un futur meilleur. Et pourtant elle raconte que « les années qu’elle a passé en France en expérimentant refus après refus ont été pires que celles en Albanie.»

En tant que mineure non accompagnée, Kaltrina est prise en charge par le service d’accompagnement des mineurs isolés étrangers (SAMIE) de Nancy. La jeune fille, qui n’a pas de représentant légal, doit attendre sa majorité pour faire une demande d’asile. Son statut de MNA lui donne cependant le droit de séjourner sur le territoire français sans attestation de demande d’asile jusqu’à ses 18 ans.

Durant ses premières années en France, Kaltrina habite dans le centre du SAMIE, aux côtés d’autres mineurs non accompagnés. C’est là qu’elle rencontre sa meilleure amie, une Arménienne, dont elle est très proche encore aujourd’hui. Mais c’est là aussi qu’elle expérimente un premier refus : tandis que la plupart des autres jeunes vont à l’école, Kaltrina n’y est pas autorisée. Pour être scolarisée, son statut de mineure doit être confirmé par le juge des enfants. Ce processus a pris plusieurs années. Bref, elle ne l’a jamais eu, et n’a donc pas pu aller à l’école pendant son enfance en France. Ce premier refus, elle ne peut pas se l’expliquer, et il sème en elle les graines d’un sentiment d’injustice qui ne cessera de grandir les années qui suivent. « Depuis le début de ma vie, j’avais l’impression que le destin avait quelque chose contre moi ». 

La frustration de Kaltrina croît encore davantage lorsque sa demande pour un contrat jeune majeur n’est pas acceptée. Le contrat jeune majeur est une aide que reçoivent les mineurs en difficulté sur le plan familial, éducatif et psychologique. Ces jeunes sont confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour bénéficier d’aide jusqu’à la majorité. Comme pour l’impossibilité d’aller à l’école, elle est dans l’incompréhension quant aux raisons de ce refus nouveau. Or il se trouve que le refus du statut de mineure cause « l’absence de sérieux dans le suivi d’une formation », ou encore celle « d’un projet professionnel sur le court terme ». Ce sont donc des motifs de refus récurrents. Le fait que Kaltrina ne soit pas allée à l’école pourrait donc être une raison pour cette deuxième réponse négative. Refus entraînant refus, elle se trouve coincée dans un cercle vicieux.

Le 26 septembre 2019, Kaltrina a 18 ans. Le principal problème en tant qu’un MNA est la rupture de prise en charge lors de la majorité. La jeune fille ne peut plus loger dans les locaux du SAMIE, et emménage dans un studio mis à sa disposition. Dès que possible, elle fait une demande d’asile. Tout au long de la procédure, elle est accompagnée par une assistante sociale. Commence alors l’attente.

En parallèle, Kaltrina poursuit un second but : se faire opérer afin d’atténuer les traces d’une maladie génétique très rare qui affecte ses yeux. « Je portais des lunettes de soleil tout le temps, même la nuit », explique-t-elle. Ainsi, Kaltrina ressent le véritable besoin de se faire opérer pour atténuer cette particularité esthétique et de santé, afin de se sentir “normale”. Bien qu’en Albanie, elle n’ait jamais été harcelée à ce sujet par les jeunes de son âge, mais plutôt soutenue, rester là-bas n’était pas une option pour elle. Sa famille, déjà traversée de tensions, ne semblait pas prête à payer le prix extrêmement élevé de l’opération, d’autant plus que les résultats en étaient incertains. L’opération n’a pu se faire qu’en privé car l’assurance maladie, selon elle, ne la couvre pas. Comme il s’agit d’une maladie et d’une opération très rares, le prix du traitement était et est toujours au-delà de tous les prix abordables possibles en Albanie.

« Regarde les autres migrants, regarde-toi. Si tu as mal, c’est comme moi. C’est la même douleur à l’intérieur, c’est juste l’histoire qui change. »


En France, jusqu’à il y a quelques années – encore lorsque Kaltrina voulait se faire opérer – l’avantage était que durant la procédure de demande d’asile, la couverture maladie universelle (CMU) remboursait 100% des frais. Même si le bénéficiaire n’était pas régularisé. Mais là aussi, le refus semble être une malédiction. Trois fois, Kaltrina se rend à l’hôpital avec tous les documents de l’Assurance Maladie et la mutuelle.

Et trois fois, le chirurgien refuse de faire l’opération, sans donner de justification. « S’il m’avait dit qu’il ne connaissait pas la maladie, j’aurais compris. Mais là, il ne m’a rien expliqué. J’en ai déduit que c’était du racisme », raconte-t-elle. Mais elle n’abandonne pas pour autant. La quatrième fois, sous la pression d’une collègue, le chirurgien accepte enfin.

Tout cela, elle le traverse presque seule, seulement accompagnée par son amie arménienne.

Alors que la vie semble retrouver de la clémence, un ultime refus fait tout basculer : Kaltrina reçoit une réponse négative à sa demande d’asile. « J’avais l’impression que le ciel allait me tomber sur la tête », rappel-elle. À ce moment-là, la jeune fille se sent plus seule que jamais. Sa meilleure amie est partie à Chaumont, et à cause du refus, elle doit quitter son studio pour vivre dans des hôtels payés par l’Accueil et Réinsertion Sociale (ARS). À la suite de l’opération, la jeune fille peut à peine marcher en raison de la cicatrisation du tissu prélevé sur sa jambe, et elle doit garder les yeux fermés pendant deux semaines. « Heureusement qu’il y avait ma meilleure amie. Je l’ai appelée et elle est restée à l’hôtel avec moi pour m’aider. Nous on est vraiment comme ça », explique Kaltrina en croisant deux doigts, afin de me montrer à quel point elles sont proches. Mais malgré l’aide de sa meilleure amie, le rétablissement de la jeune fille reste compliqué, car elle ne cesse de bouger ; elle est déplacée dans trois hôtels différents au bout de quelques semaines. Alors que son opération nécessite une situation stable, c’est dans l’instabilité qu’elle doit vivre les semaines qui suivent.

Travailler pour rester

« Au fond de moi-même je savais que j’allais mourir si je retournais en Albanie », explique Kaltrina en décrivant sa réaction lorsqu’elle reçoit l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui suit le refus de sa demande d’asile. Ce refus est encore une fois lié au fait qu’elle ne soit pas allée à l’école en France et qu’elle ne travaille pas. Les arguments suivants sont également présentés : D’abord, sa venue en France ne peut pas être justifiée par une raison médicale, car son opération aurait tout aussi bien été possible en Albanie. Ensuite, Kaltrina n’est pas vraiment en danger de mort dans son pays natal. Mais plus qu’en danger physique, c’est en détresse psychologique que se trouve la jeune fille : « Je suis venue en France car je ne veux pas juste être en vie, je veux vivre.» C’est pourquoi, à la suite de l’OQTF, elle tombe en dépression.

Cependant, sa grande volonté reprend le dessus. Elle trouve autour d’elle des personnes positives, français, albanais et étrangers, qui l’aident à espérer, à se battre. La jeune fille se met à chercher du travail, d’abord en toquant chez ses voisins, sans succès. Elle se tourne ensuite vers des associations d’aide aux migrants, dont le Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine. Là, elle rencontre Philippe, le référent de l’équipe migrants, qui prend en charge son dossier : « Je ne l’oublierai jamais, jamais, jamais. Avec tous les refus, tout le monde me disait « non », c’est le seul qui m’a donné un peu de lumière ».

Le 24 janvier 2021, grâce au travail de Philippe et des autres membres du Secours Catholique, Kaltrina obtient le titre de séjour. Celui-ci est renouvelable tous les ans, à condition qu’elle travaille. Aujourd’hui, la jeune fille étudie dans une école de restauration et est engagée dans un restaurant**. Elle est autonome et indépendante. « Je ne veux pas que l’on ait pitié de moi. Toute ma vie a été comme ça. Je ne le veux plus maintenant. Après tout ce que j’ai vécu, ça me choque d’être encore en vie ».

Et pourtant elle est bien là, devant moi, plus vivante que jamais. Cela, elle l’a réussi grâce à sa volonté de fer et le soutien de plusieurs personnes qui ont vu son drame et également sa volonté de vie. Mais aussi grâce à sa capacité à se mettre à la place de l’autre. Lors de notre dernier entretien, elle énonce un raisonnement qui me marque profondément et qui, je pense, est essentiel pour aborder la question des migrants. En me regardant droit dans les yeux, elle me dit : « On est tous différents, mais on est tous les mêmes. Pour comprendre les sentiments de chacun et de chacune, il faut comprendre qu’il et elle est comme nous. C’est ça que l’administration française ne comprend pas. Regarde les autres migrants, regarde-toi. Si tu as mal, c’est comme moi. C’est la même douleur à l’intérieur, c’est juste l’histoire qui change ».

*Le nom a été changé pour protéger l’identité de la personne.

**Cet article a été préparé en mai-septembre 2022. Au moment de sa finalisation pour la publication, Kaltrina a postulé et obtenu un apprentissage en Ressources Humaines, à la métropole du Grand Nancy. Elle est très heureuse parce que c’est un domaine professionnel qu’elle aime beaucoup.

*** Cet article est produit dans le cadre du projet « Venir ensemble, se raconter, se mobiliser », un partenariat entre la plateforme d’information PRO IDE et le Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine, avec le soutien financier de ce dernier. Il a été rédigé par Oriel Wagner, étudiante de Science Po-Nancy,  bénévole (2022) au sein de Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine et édité par Elda Spaho Bleta, journaliste, fondatrice de PRO IDE. Les sources des informations sont citées, et lorsqu’un avis personnel est donné, il n’engage que l’auteur.
Le contenu des articles n’engage pas les structures précédemment nommées.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

fr_FRFrench
Verified by MonsterInsights