Les mains d'Helena Photo credit Athénaïs LACHAT

« Je suis partie d’Iran un vendredi, pour rester en vie… »

C’était le souhait de mes enfants”. Viols, avortements des bébés-filles…Une avocate iranienne vivant en Nancy, France, ne raconte pas seulement son histoire d’exile. Mais surtout la vie de filles et femmes en Iran.
Par Athénaïs LACHAT, étudiante à Science Po, Nancy. 

Rédactrice Elda Spaho Bleta
L’auteur de l’article Athénaïs LACHAT Photo credit Anastasia PAPADOPOULOS. Sur la photo ci-dessus: Les mains d’Helena alors qu’elle raconte comment elle a été maltraitée et violée pendant des années. Photo credit Athénaïs LACHAT

Helena* est née en 1978, à Téhéran. Officieusement et réellement, elle a aujourd’hui 44 ans. Mais officiellement, elle en a 47, son père ayant falsifié son acte de naissance pour pouvoir la marier rapidement. « Je viens d’une famille où avoir une fille est une honte et c’est rabaissant. Pour eux, une fille veut dire une esclave physique et sexuelle”.

Être une fille-enfant en Iran

Elle grandit dans un environnement violent. Aujourd’hui une avocate, elle est toujours terrifiée par son père. Depuis le commencement de sa vie, il les maltraite, sa mère et elle. Sa mère, ne pouvant plus le supporter, finit par quitter le foyer alors que Helena n’est qu’une jeune fille. Ce départ laisse le champ libre à son père, qui l’oblige à arrêter ses études pour qu’elle travaille. Helena rappelle qu’il était endetté et se sert d’elle pour gagner de l’argent. Il finit par la forcer à « travailler » chez un ami, un homme riche et influent âgé de 37 ans.  Helena n’en a que 15… Pour « travailler » chez lui, elle a dû quitter Téhéran pour une autre ville. Ce départ marque le début d’une sombre période. “Quand la loi d’un pays permet à un soi-disant frère, père, grand-père de faire ce dont ils ont envie à une jeune fille, et bien la vie de cette jeune fille devient un enfer », – dis Helena.

Les droits des femmes en Iran sont quotidiennement piétinés. Comme l’explique Javaid Rehman1, professeur de droit international et constitutionnaliste musulman, les femmes sont vues comme des citoyennes de seconde classe. Cela est confirmé par la législation Iranienne qui encourage ouvertement les discriminations envers les femmes. Par exemple, il est stipulé qu’elles peuvent se marier dès l’âge de 13 ans, et même plus tôt avec l’accord du père, toujours d’après Javaid Rehman.

En découle de nombreux mariages forcés. D’après une étude du Centre Iranien pour les droits humains parue en 20202, 7 323 mariages de filles âgées de 10 à 14 ans ont été enregistrésentre mars et juin 2020.

En outre, il est presque impossible de demander le divorce pour une femme en Iran. Elle doit prouver un niveau intolérable de violence alors que le mari peut divorcer sans aucune justification, comme le Centre international pour les défenseures des droits de l’Homme et des minorités l’a constaté dans un rapport datant de 20193.

Les protections étatiques destinées aux femmes sont presque inexistantes.  Helena, alors qu’elle commence à « travailler » chez l’ami de son père, endure des tortures physiques et psychologiques. Malgré ces conditions de vie, elle n’ose rien faire. « J’étais régulièrement violée et, à l’âge de 17 ans, je suis tombée enceinte de cet homme », – raconte elle.

Lui e sa famille valorise exclusivement le fait d’enfanter des garçons. Et le premier enfant de Helena est une fille, d’après les échographies. On la force donc à avorter au bout de 18 semaines de grossesse. Cet avortement comporte des grands risques pour les femmes. E France, il est illégal d’avorter à partir de 14 semaines de grossesse comme le stipule le Service Public, site officiel de l’administration française4.

Pour cette fille de 17 ans c’est que le début d’une longue série de grossesses…

“Je ne voulais plus d’une fille morte”.

En 1998, Helena eut enfin un enfant qu’elle put garder. C’était un garçon.  L’ami de son père continue de la violer pour avoir d’autres garçons, ce qui est considéré comme prestigieux dans sa famille. Helena accouche donc d’un autre garçon en 2001. Puis elle a dû avorter de deux filles…

En 2011, Helena eut son dernier garçon. Elle tombe de nouveau enceinte quelques mois plus tard, mais elle choisit d’avorter sans que son agresseur le sache. La jeune femme ne veut plus avoir d’un autre enfant, et surtout « je ne voulais plus d’une fille morte”.

Helena continue donc à habiter avec ses trois garçons dans l’immense demeure de l’ami de son père. Elle ne vit pourtant pas vraiment avec lui car elle réside dans une aile isolée du bâtiment. Il a plusieurs femmes. La jeune femme n’échange donc guère avec cet homme, et continue à s’occuper de ses enfants.

Après des années de calvaire, le père d’Helena meurt. Elle se rend donc à son chevet, où il lui demande pardon. Elle lui répond simplement « “Je n’accepte pas ton pardon”.

– Comment vous êtes-vous senti ce jour-là ?»

– Le jour de la mort de mon père, je me suis senti libérée. Je me suis maquillée, je suis allée chez le coiffeur… Je me suis senti soulagée… 

Une liberté qui coute chère

 Une fois son père mort, elle trouve le courage de fuir la demeure ou elle habite et elle est prête même d’y laisser ses enfants. Elle n’a pas peur de leur arriver quelque chose du mal : leur père est bien fier d’eux, trois garçons. Mais pour lui, quand elle l’abandonne, c’est la grande honte. Donc, il est près de faire tout et il le menace avec la pire des choses : Si tu ne reviens pas, je vais vendre les trois garçons !

Elle revient donc pour protéger ses enfants. « Pour me punir, il me torture, me bat. Mais moi, je résistais. Je ne faiblis pas. Mon père étant mort, je n’ai plus peur et je commence à désobéir. J’ai décidé de travailler, tout en reprenant mes études. Tout se fait en cachète, puisque la maison ou j’habitais avec mes 3 garçons était appart. Je n’étais pas sa femme. Je poursuis une licence de droit, car je voulais devenir avocate. En changeant le droit, je pourrais mieux vivre”.

Mais lui finit par découvrir ses activités. Fou de rage, cette fois il l’oblige à se marier officiellement avec lui. “Et, en tant que femme mariée, on n’a pas le droit légal de désobéir à son mari”.

Ainsi, le code pénal islamique Iranien dédie une section entière aux devoirs maritaux. Ce code précise que les femmes doivent subvenir aux besoins sexuels de leur mari de tout temps (article 1108). Il est aussi spécifié que les maris déterminent le lieu de résidence de leurs épouses et contrôlent donc leur liberté de mouvement (article 1114). Ils peuvent aussi les empêcher d’exercer une certaine profession s’ils estiment qu’elle est “incompatible avec les intérêts de la famille” (article 1117).

Les efforts d’Helena pour étudier et travailler deviennent illégaux de par son mariage. Malgré ceci, elle continue ses études, en dépit de la violence qu’elle subit. “A la fin, les problèmes sont devenus mes sources d’ambition. Plus j’avais des problèmes, plus j’avais envie de fournir des efforts.”

Elle devient avocate en cachette. Ses efforts énervent de plus en plus son mari, qui ne cesse de se montrer violent. Il la menace régulièrement de lui prendre son troisième enfant, avec qu’elle est très attache puisqu’il est très jeune.  Il faut savoir que le code civil Iranien spécifie que la mère a la garde de l’enfant jusqu’à ses deux ans. « Après cela, la garde est dévolue au père », -déclare l’Institut de Paix des Etats-Unis dans un article paru en 2020, intitulé “Les lois Iraniennes sur les femmes6”.

Fuir, fuir, fuir ! Mais comment ?

Face à ces menaces, Helena prend une décision : Elle doit partir d’Iran avec son dernier enfant. Elle fait des démarches en secret et obtient un visa « étudiant » pour Nancy, France, valide à compter du premier septembre 2020. Seulement, Helena n’est pas au bout de ses peines. En Iran, les femmes mariées et les enfants doivent avoir une autorisation pour quitter le pays. Les enfants doivent ainsi obtenir l’accord de leur père et les femmes mariées, celui de leur mari conformément à La Loi du Passeport qui stipule qu’un homme peut interdire à sa femme de partir à l’étranger.

Helena décide donc de tendre un piège à son mari. Avec ses économies, elle achète une voiture, et son mari permet qu’elle soit mise à son nom. Helena lui apporte ses papiers d’autorisation de sortie du territoire, lui faisant croire qu’il s’agit des papiers pour la voiture. Son mari n’ayant pas fait beaucoup d’études, signe. Helena peut maintenant partir. Mais elle ne sait pas comment faire pour l’autorisation de son fil… Elle a plus d’idées… « Alors j’ai choisi de rester en Iran : pas question que je l’abandonne ». Cependant, la violence continue à s’accroître. Elle culmine le jeudi 16 septembre 2020.

“Je n’oublierai jamais cette journée. Je ne sais pas pourquoi mon mari a décidé de me tuer. Peut-être il était fatigue avec moi…”.  Si la raison derrière cette décision est peu claire, ses conséquences le sont : Alors que les deux plus grands fils de Helena ne sont pas à la maison et que le troisième fils dort, son mari et ses frères la réveillent pour l’emmener dans sa voiture. On l’y attend avec un bidon d’essence. “Le but était de me brûler dans ma propre voiture.”

Pour ce faire, son mari conduit pour l’emmener dans un endroit isolé. Heureusement, il y a des bouchons, et Helena s’échappe du véhicule. Son mari et ses frères la poursuivent, lui jetant de l’essence dessus. Elle appelle à l’aide, mais personne ne réagit. « Cependant la police est arrivée et leur a dit “Fermez la bouche de cette femme et mettez la dans la voiture. Les gens sont en train de filmer et ils vont le mettre sur les réseaux sociaux”.

Helena est raccompagnée chez elle par la police, qui ne questionne pas la situation. Mais, pour le moment, son mari n’ose pas de continuer avec son plan. Leurs deux grands enfants sont là, en plus. Ils apprennent ce qu’il s’est passé et la supplient de partir pour qu’elle reste en vie. « Le lendemain, mes deux plus grands fils me réveillent. Ils m’avaient préparé des papiers et acheté un billet pour Téhéran. J’avais déjà l’autorisations signée de la part de mon mari. Je suis partie un vendredi pour rester en vie. C’était le souhait de mes enfants”.

La liberté, mais avec quel prix ?

Arrivée à Téhéran, Helena prend un billet d’avion pour Paris. Puis de Paris, elle arrive à Nancy où, utilisant son visa « étudiant », elle se réinscrit à l’université. Enfin, elle est libre d’étudier le droit. Arrivée légalement en France, elle n’est pas consciente du fait qu’il est possible qu’elle demande le droit d’asile. Quand elle comprend cela, Helena fait une demande d’asile en France le 19 juillet 2021, et l’obtient, heureusement, en janvier 2022.

Mais le prix de cette liberté lui est très amer : solitude, des procédures très longues et compliques en France, manque de travail, dépression, l’hôpital, tristesse, le désir fou de voir ses enfants … Mais cela est une autre histoire.  Que sera racontée une autre fois…

*Le nom a été changé pour protéger l’identité de la personne.

Référénces:

1Javaid Rehman, “Iran: women and girls treated as second class citizens, reforms urgently needed,” 2021

2Human Rights, “Easy state loans prompting surge in child marriages in Iran

3Centre for Supporters of Human Rights and Minority Rights Group International, “Beyond the Veil : Discrimination against women in Iran”, 2019

4Service Public, “Interruption volontaire de grossesse”, 2022

5Andrew Hanna, “Iranian Laws on Women,” 2020

Cet article est produit dans le cadre du projet « Venir ensemble, se raconter, se mobiliser », un partenariat entre la plateforme d’information PRO IDE et le Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine, avec le soutien financier de ce dernier. Il a été rédigé par Athénaïs LACHAT, étudiante de Science Po-Nancy,  bénévole (2022) au sein de Secours Catholique Caritas Hauts de Lorraine et édité par Elda Spaho Bleta, journaliste, fondatrice de PRO IDE. Les sources des informations sont citées, et lorsqu’un avis personnel est donné, il n’engage que l’auteur.
Le contenu des articles n’engage pas les structures précédemment nommées.

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